Les articles publiés depuis le jugement de la cour de
Karlsruhe enjoignant la BCE de justifier sa politique de rachat de dette sous
trois mois ont mis en avant les réactions outrées de la BCE, de la Cour de
justice européenne puis de la Commission, oubliant de préciser que tout se
déroule sur le sol allemand : où est la BCE ? A Francfort.
C’est un peu le serpent qui se mord la queue.
L’Allemagne a tout fait pour que la monnaie unique soit la moins éloignée du
mark, qui a obtenu que le siège soit à Francfort et veillé à ce que toutes les
décisions ne contrecarrent pas le consensus politique allemand (SPD/CDU/CSU).
Aujourd’hui, quel jeu joue l’Allemagne ?
Jusqu’alors les juges de Karlsruhe se montrèrent d’une grande prudence,
n’enfreignirent pas la chancelière. Que se passe-t-il ?
Depuis 2012, les allers-retours Francfort/Luxembourg
ne sont plus rares dès l’instant qu’il s’agit de savoir si les décisions de la
BCE restent ou non conformes à la loi fondamentale allemande. Ainsi, en 2012,
lors du projet d’OMT (Opération monétaire sur titre ou rachat de dette), sur
plainte de l’AfD (alors pas un parti anti-migrant), les juges allemands avaient
attendu l’avis de la cour de justice de
Luxembourg pour statuer en 2016 favorablement mais avec de fortes réserves.
Le jugement rendu le 5 mai dernier sur plainte
notamment de l’AfD en date de 2015 porte toujours sur le bien-fondé de la
politique de rachat de la part de la BCE. La nouveauté est que les juges
allemands n’attendirent pas l’avis de la cour de Luxembourg pour fixer un
ultimatum à la banque de l’euro. Ce choix inattendu a surpris tous les acteurs
européens qui rappelèrent chacun à leur manière l’indépendance de la BCE et la
primature de la cour de Luxembourg.
On peut se demander si ce jugement allemand n’est pas
d’abord la mise à vif des questions au sein des partis politiques et de milieux
économiques de plus en plus insistantes sur la pertinence de l’euro ?
N’oublions pas que le BREXIT se réalise parce qu’il a toujours été approuvé par
une partie de l’élite britannique. En Allemagne, vous avez aussi parmi les
décideurs économiques une défiance envers une monnaie unique toujours suspectée de favoriser le Sud et surtout de
ramener l’inflation, un sujet maudit rappelant les souvenirs de Weimar et de
1945 (deux débâcles monétaires en période de reprise ou de reconstruction
entravée par une offre insuffisante).
Quand le président de la Bundesbank annonce qu’il
expliquera aux juges constitutionnels comment fonctionne la BCE, on croit
volontiers qu’il les désapprouve alors qu’en réalité, sa démarche a tout de
l’ambiguïté. C’est une cour allemande
qui a jugé pas un membre de peu de poids de la zone euro : c’est le pays
socle juste devant la France et l’Italie. Bien au-delà des menaces des
différentes autorités européennes, il est hors de question d’humilier Karlsruhe.
Des arrangements se feront au profit de nouvelles garanties pour Berlin qui
aura beau jeu de laisser planer la menace de l’ultimatum. Berlin serrera les
vis et obtiendra le tournevis.
Sauf maladresses européennes, l’Allemagne n’optera pas
pour une cassure de l’euro à moins d’avoir la certitude d’entrainer avec elle
outre le BENELUX, l’Europe centrale, les pays Baltes et la Finlande.
Les craintes d’une récession considérable ravivent en
Allemagne, notamment, des souvenirs historiques dans un pays fragilisé politiquement. En 2020, Berlin craindrait une récession suivie
non pas d’une déflation mais d'une inflation liée à la politique monétaire de la BCE, une hypothèse qui ferait le miel de
l’AfD et des autres….
Au-delà du climat interne allemand, la gestion de la
récession annoncée partout est un défi européen succédant à celui de la
pandémie. Après le virus corona, pandémie monétaire ?
Nous arrivons à un carrefour où aucun acteur de la
zone euro n’entend se retirer mais où chacun s’y préparerait....A suivre.
Jean Vinatier
Seriatim 2020
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