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mercredi 7 avril 2021

Erdogan : Eurasie ou Biden ? N°5642 15e année

 La politique américaine a pris un ton agressif depuis la défaite de Donald Trump : les États-Unis veulent par tous les moyens garder leur première place : Poutine et Xi Jiping sont clairement visés. Ils le font par un plan de relance de plus 4 000 milliards dollars (moitié sous Trump en 2020) et laissent entendre une répétition de sommes astronomiques. Ils le font en battant le rappel des « alliés », notamment européens et pour les rappeler à leur juste obéissance réactivent la question du Donbass ukrainien. Et c’est ainsi sur le chemin de la Chine que l’on arrive sur le sol turc avec un Président Erdogan qui alterne le chaud et le froid.

L’arrestation d’amiraux retraités turcs coupables d’avoir publié une tribune critique sur le projet d’Erdogan de construire un canal d’Istanbul qui ferait le lien entre la mer Noire et celle de Marmara est-il un signe de soumission adressé à Washington ou bien encore une nouvelle danse turque ? Dans ce climat tendu arrivent, Ursula Von der Leyen et Charles Michel, nos Bouvard et Pécuchet, pour revoir ou relancer une politique relationnelle. Recep Erdogan écoutera : il ne s’est pas déplacé, c’est lui qui reçoit.

On remarquera que parmi les amiraux arrêtés figure le contre-amiral Cem Gürdeniz, acteur stratégique du concept de la « patrie bleue » qui étendrait l’influence turque dans toute la Méditerranée orientale et, surtout, avocat d’une approche eurasienne impliquant un resserrement des liens avec la Russie, la Chine et l’Iran qui désavantagerait l’espace Atlantique (USA+Europe).

L’année 2020 a vu Recyp Erdogan passer d’une diatribe récurrente contre le pays qu’il estimait faible, la France d’Emmanuel Macron, a une inflexion orale en direction de la puissance pays qu’il regarde comme décisive, l’Allemagne d’Angela Merkel.

Une fois de plus la Turquie de Recyp Erdogan essaie de ménager la chèvre et le chou, Asie et Occident, affrontant une débâcle économique et une contestation intérieure grandissante. En toute logique le chef d’État turc cherche par une opération de prestige (le canal d’Istanbul) à rehausser son image et en apaisant ses dires contre l’Occident rassurer ses acteurs économiques.

Jusqu’à présent Recyp Erdogan a poussé ses pions sans jamais aller jusqu’au bout, sauf en Azerbaïdjan, en Syrie, de ce qu’il projetait : Libye, migrants en Europe. Il espère, sans doute, « vendre » la position géostratégique turque au plus offrant : la Chine ou les États-Unis ? D’où l’importance du canal d’Istanbul qui remet sur le tapis la fameuse et ancienne question des détroits (Dardanelles) et la libre circulation dans le Bosphore. Sans doute, Recyp Erdogan a-t-il en tête de revenir sur la Convention de Montreux de 1936 qui excluait les États-Unis. En effet les signataires étaient en sus de la Turquie : le Royaume-Uni (avec Chypre), la France, l’URSS (Russie Ukraine incluse), la Roumanie, la Bulgarie, la Grèce, l’Australie. Une renégociation permettrait à la Turquie d’internationaliser le canal projeté prenant pour référence celui de Suez, assurant au passage sa surveillance totale.

Pour les États-Unis, ce serait un accès militaire direct ou via l’Ukraine, désormais détachée de la Russie et bien évidemment une alarme supplémentaire pour Vladimir Poutine. Cette facilité participerait de la tactique de l’endiguement chère à Washington, la capitale américaine qui s’active, aussi pour qu’entre la Géorgie dans l’Otan puis l’Union européenne : la logique ne varie pas : enserrer ou contenir par pression régulière.

Recyp Erdogan estime-t-il que par une internationalisation de la problématique historique du Bosphore et des Dardanelles il aurait une carte maîtresse ? Cependant, même la puissance la plus maligne ou la plus rouée doit avoir entre ces mains des outils de puissance suffisants pour ne pas perdre à terme sur tous les tableaux. Que serait la Turquie complétement inféodée aux États-Unis ? Que serait la Turquie en seul terminal de routes de la soie ? Jusqu’à présent la Turquie n’a pas été en mesure d’organiser une union économique des pays turcophones et moins encore de songer à une organisation militaire régionale. Face à l’Asie, la Turquie est faible et sur le pourtour méditerranéen, Ankara, avance prudemment. Face à l’union européenne que le pouvoir turc sait divisé et sans finalité politique, il éructe plus qu’il n’agit, même s’il lance ici et là quelques « loups gris » mais veillant à considérer l’Allemagne laquelle historiquement ne participa pas au dépeçage de l’empire Ottoman et Berlin et Ankara, ont le point commun de vouloir être le lien « géomercantile « entre les États-Unis et la Chine.

Eurasie ou Atlantique ? Eurasie ou Biden ? L’histoire a fait que la Turquie depuis cette Anatolie est un espace territorial incontournable autour duquel tourne de volatiles augures otaniens. Le canal d’Istanbul qu’il se réalise ou pas, illustre autant l’ambiguïté d’une situation que celle d’un régime balancé par le souvenir ottoman et la magie du califat que Recyp Erdogan surdimensionne.

La Turquie actuelle donne des gages d’une bonne volonté à l’administration Biden au titre de l’OTAN mais sans oublier la tentative de coup d’État de juillet 2016, envoie des signes d’une neutralité négative à la Russie, s’interroge sur la dimension chinoise, garde au chaud les « frères musulmans », acteurs de disputes entre les Arabes et regarde l’Europe avec dédain sauf l’Allemagne. La Turquie ne cesse pas de tourner comme un derviche. Elle pourrait s’y étourdir….

Jean Vinatier

Seriatim 2021

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