Diploweb propose un entretien, du 3 juin 2014, avec Laurent Chamontin auteur du livre, La Russie. L'empire sans limites
Pierre Verluise : En quoi la relation des Russes à l’espace est-elle spécifique ? Pourquoi écrivez-vous que la Russie est "génétiquement continentale" ?
Laurent Chamontin : Pour les États géants, le processus de délimitation et d’occupation du territoire national pose des problèmes tout à fait particuliers : c’est pourquoi il est pleinement justifié de considérer l’espace comme un acteur historique à part entière, comme je l’ai fait dans le cas russe.
C’est que pour prendre et tenir, il ne suffit pas de s’imposer aux populations existantes, il faut aussi développer les moyens concrets d’occuper tout le territoire, et se prémunir du risque de fractionnement spatial par création de baronnies locales.
Dans cette catégorie des États géants, la Russie occupe une place à part : c’est le cas par excellence de création d’une civilisation agraire dans l’aire stratégique des nomades, dont il lui faudra subir le joug entre 1240 et 1480. S’ensuit une phase de reconquête patiente, fondée sur l’expansion démographique et l’importation de technologies européennes, qui permettra d’atteindre le Pacifique (1639), la Crimée (1783) et l’Asie centrale (fin du XIXe siècle).
Cette histoire dramatique, le risque de fractionnement mentionné plus haut et les formes politiques héritées des mongols ne préparent pas, c’est le moins qu’on puisse dire, une civilisation du compromis. L’histoire du développement de l’Empire à partir de la principauté de Moscovie est essentiellement celle d’une affirmation sans partage.
Au total, la civilisation russe est génétiquement continentale, car malgré les tentatives de Pierre le Grand et de quelques autres, elle émane d’un berceau situé au milieu des terres, à bonne distance des ennemis potentiels (polonais, turcs, suédois…) et les influences maritimes ne jouent dans son développement qu’un rôle d’appoint.
Après avoir été source d’insécurité à l’apogée de la menace nomade, le territoire y est devenu un refuge, même si sa taille en fait un défi permanent jusqu’à aujourd’hui : la préoccupation d’en garder le contrôle est en particulier à l’arrière-plan de la décision de Vladimir Poutine de nommer lui-même les gouverneurs de province, ou de la guerre de Tchétchénie. Et l’aménagement du territoire figure parmi les questions sur lesquelles l’URSS s’est cassé les dents…
P. V. : En quoi le pouvoir russe est-il une émanation de la société ? La Russie est-elle aujourd’hui encore une forme d’empire, tant dans l’acception spatiale que politique du mot, ne serait-ce que par la tendance patrimoniale du pouvoir ?
La suite ci-dessous :
https://www.diploweb.com/La-Russie-L-empire-sans-limites.html
Jean Vinatier
Seriatim 2021
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire