Le retrait des troupes russes en Crimée et de la frontière avec l’Ukraine a fait entonner par certains médias comme Le Figaro (article de Renaud Girard) l’air du premier revers stratégique de Vladimir Poutine. Pour un peu, il diffuserait le Juditha Triumphans de Vivaldi qui célébrait en 1716 la victoire vénitienne (relative) sur les Turcs devant Corfou….
Nous sommes dans un moment de test grandeur nature opéré par les Etats-Unis sur plusieurs fronts : l’Iran sur le nucléaire, la Chine pour les relations commerciales, la Turquie sur le génocide arménien, la Russie sur le Donbass et North Stream II. Jusqu’où aller ? Comment pousser l’adversaire à la faute ou bien le séduire ?
Dans le cas qui nous intéresse, celui de la Russie regardée par la nouvelle administration américaine comme présentant plusieurs angles d’attaque, la question ukrainienne marche de pair avec l’importance énergétique de North Stream II. Tous les regards se focalisent sur l’est quand, certainement des négociations se déroulaient à l’ouest (Baltique). Le président ukrainien s’est agité, c’était son rôle. Il est allé de Paris à Ankara dont il ne tira aucun avantage : des déclarations informelles à l’Elysée, un faux soutien chez Erdogan qui botta en touche en soutenant la cause des Tatars de Crimée…ce dont l’Ukraine se moque bien !
Pour Vladimir Poutine qui regarde froidement la situation qu’est-ce qui est le plus important pour la Russie : une revendication territoriale en Ukraine ou bien la meilleure sureté de navigation du son gaz vers l’Allemagne ? A voir, toute la géopolitique gazière de la Russie depuis l’Orient jusque chez nous, on est très impressionné par sa constance et sa réussite.
La question du Donbass est l’arbre qui cache la forêt : le gaz compte infiniment plus que le devenir du Donbass. Moscou disposera de plus de latitude en ne faisant plus transiter son gaz par l’Ukraine mais par la Baltique. Kiev ne pourra plus menacer de fermer les robinets et les Etats-Unis perdront un moyen de pression vis-à-vis du gouvernement russe.
Ce à quoi nous assistâmes les jours derniers, la montée crescendo des tensions à la frontière ukraino-russe : manœuvres militaires otaniennes, navires américains en mer Noire avec son pendant du côté russe, a permis à la diplomatie secrète allemande d’agir, de se poser en médiatrice entre les Etats-Unis et la Russie. Là aussi, qu’est-ce qui est le plus vital pour Berlin : l’Ukraine ou North Stream II ? Si l’Ukraine est dans le viseur allemand depuis Guillaume II en concurrence, à l’époque avec François-Joseph Ier, on imagine mal la chancelière monter à cheval pour courir sus….Bien évidemment le gaz par la Baltique assurerait à l’Allemagne une sécurité plus grande et se débarrasserait, par contre-coup, d’une demande américaine par Ukraine interposée. Si Berlin ne veut rien compromettre de son commerce avec les Etats-Unis, son gouvernement tient aussi à grandir sa capacité manœuvrière en Europe de l’Est. Berlin agit pour un équilibre en passe de progresser positivement.
Nous verrons dans les prochaines semaines si North Stream II poursuivra sa route ou pas. Je pense que oui. Si tel était le cas, le retrait de l’armée russe n’aurait été qu’un leurre et un indice pour l’administration Biden des limites de son test. Il est dommage d’écouter les spécialistes français sur Arte et d’autres chaînes déverser leur bile sur le danger russe en Ukraine, de ressasser une russophobie qui tourne à la pathologie, se défouler sur une partie de la carte en négligeant le point central : mesure-t-on notre médiocrité ?
Vladimir Poutine, Angela Merkel rient sous cape, Joe Biden un peu moins quand à l’Union européenne elle n’y verra pas grand-chose, les yeux embués par les fébrilités, tchèque, baltes, polonaise. Et pourtant notre continent vient, peut-être d’emporter un succès….
Jean Vinatier
Seriatim 2021
Sources au sujet de la question gazière euro-orient : Nord Stream + Turkish Stream
https://www.irsem.fr/data/files/irsem/documents/document/file/2947/Etude_IRSEM_n62_2018.pdf
https://jeunes-ihedn.org/nord-stream-2-le-pipeline-de-la-discorde/
Syrie : le gaz dans la bataille
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