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jeudi 17 juin 2021

Biden/Poutine : tea for two, two for tea? N°5738 15e année

La théâtralisation de Genève a tenu ses promesses, les deux acteurs ont affiché les sourires et se serrèrent la main sans trop se regarder. Évidemment, n’étant pas dans les coulisses, nous n’apprendrons que plus tard la réalité des échanges et des oppositions.

Présenté comme un acte de bienveillance par l’administration américaine, cette rencontre allait, en réalité, tout à fait dans le sens longtemps discouru par Vladimir Poutine. Ces nombreux dires sur la coopération en sont le témoignage quand les Américains entraient dans de véritables hystéries. De ce point de vue, Genève est un point en faveur de la Russie laquelle cherche, naturellement, à avoir une articulation équilibrée entre la Chine et les Etats-Unis et l’Union européenne. Le refus systématique tant de la part des Américains que de la part des Européens (le double-jeu allemand inclus) bloquait la Russie dans un retranchement dont elle a cherché à s’émanciper, notamment, par des objectifs géopolitiques et géostratégiques audacieux : de la Syrie à l’Afrique.

Les médias ont passé en revue tous les sujets et les traités avec la case « démocratie » où Poutine a bien renvoyé les balles. Ce qui compte, ce sont les nouvelles façons pour des Etats d’user d’outils technologiques qui abolissent, à bien des égards, la façon dont on concevait une rivalité entre deux puissances. Certes, il demeure les accrochages périphériques entre militaires, entre mercenaires mais fondamentalement les vraies batailles ne s’y déroulent plus. Ce sont des luttes imperceptibles par le grand public car depuis des réseaux, des satellites, des algorithmes…et ainsi de suite.

Malgré cela, reste le souci pour une puissance de garder sa place, de ne pas rétrocéder. Les Etats-Unis disposent de 800 bases à travers le monde, c’est-dire son omniprésence et pourtant, on la voit fébrile face, à la Chine, à la Russie. En réalité, à la différence de la Russie, les Etats-Unis ne séparent pas leur prépotence d’une situation multipolaire dont ils voudraient faire la leur. En faisant de la Chine, une ennemie ou à défaut une rivale, les États-Unis paraissent croire que Pékin est Moscou capitale de l’URSS alors même que Xi Jiping prendra son autonomie « Internet » en 2024. La grande faute américaine est de croire que la seconde guerre froide serait la suite de la première. C’est une observation que Vladimir Poutine et son excellent ministre Lavrov sauront utiliser car ils y verront le moyen de peser et même de dérouter.

En 1814, lors de la paix de Gand qui terminait la seconde guerre anglo-américaine, le Tsar Alexandre Ier proposait à l’ambassadeur américain de se partager le monde, un siècle plus tard, à Téhéran, à Yalta et Potsdam (1943-45), États-Unis et URSS partageaient bien des aires de présence et sans doute, si les Etats-Unis n’avaient pas abusé d’un Gorbatchev affaibli en promettant de ne pas accueillir les ex-pays du Pacte de Varsovie dans l’OTAN, le cours de l’histoire aurait pris un autre chemin. Mais voilà la certitude messianique américaine et une lecture partiale de « la fin de l’histoire » (Fukuyama) ont conduit à l’assouvissement de puissance, rompant un dialogue avec la Russie.

Sans faire, naturellement, de la Russie un doux pays avec des dirigeants parés de toutes les vertus, force est de constater, tout de même, que ce n’est pas elle qui a menti. Les États-Unis espionnent tout le monde, ne regardent le monde qu’avec leurs lunettes et les voudraient seules au monde ce qui ne se peut car ils se heurtent à la Chine, à la Russie mais aussi à l’Asie. Quand les pays d’Asie souhaitent ne pas être dans une vassalité chinoise, ils n’entendent pas pour autant entrer en guerre pour le roi de Prusse (USA) et c’est bien ce que la Maison Blanche (démocrate ou républicaine) ne comprend pas : l’Asie ne connait ni le Bien, ni le Mal, elle ne connait qu’elle-même.

Le face-à-face américano-russe (par-dessus l’Europe !) aura montré que le dialogue est encore possible, ce qui est bien mais, chacun devine, en toute logique, que les incompréhensions resteront. La Russie, quoique l’on pense de Vladimir Poutine, a cette qualité, en réalité vitale pour son avenir, de ne pas renoncer à proposer des échanges qui n’induisent pas nécessairement une soumission.

Terminons par une phrase d’imaginaire ou de rêve, le beau geste que les Américains et les Russes pourraient faire serait de proposer de placer l’Arctique sous l’autorité onusienne : mettre en avant un bien commun géré en commun.

 

Jean Vinatier

Seriatim 2021

 

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