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lundi 10 mars 2008

Les Espagnes dans l’Espagne ? N°157 - 1ere année

Le Premier ministre sortant, Jose-Luis Zapatero salue la courte victoire de son parti, le PSOE, sur le partido popular (PP) de Rajoy avec une grande prudence.
L’Espagne arrive au terme d’une période singulièrement prospère de trente ans. Le développement économique, bien épaulé par les 200 milliards d’euros reçus pendant toutes ces années de Bruxelles, a propulsé le royaume parmi les pays européens les plus attractifs du continent. Or, depuis quelques mois, l’immobilier espagnol vacille en totalité : des milliers d’agences ont fermé leurs portes, les constructeurs endettés jusqu’au cou ne peuvent plus faire face à leurs échéances ; ainsi pour l’un des plus grand d’entre eux, Colonial dont les dirigeants essaient d’éviter le dépôt de bilan.
Le nombre de chômeurs est bas mais celui des salariés précaires explose littéralement. Sous couvert d’une image dynamique, l’Espagne couve des braises bien rouges. Gare à l’incendie !
A ce problème se greffe celui des migrants qui proviennent de deux continents, du nord de l’Afrique et de l’Amérique du Sud. Dans les deux cas, les Espagnols ont une méfiance ancienne envers eux et n’hésitent pas à leur reprocher tous les maux du moment. La disparition du garçon de café « typique » au profit du marocain ignorant les usages et le vocabulaire est presque un symbole.
Ensuite, Jose-Luis Zapatero sait que la question de l’identité espagnole ou plus exactement des Espagnes est inévitable. Les menées autonomistes des Catalans, des Aragonais, des Basques sont historiques ; elles ont connu au XIXe siècle une grande force lors des trois guerres carlistes qui opposèrent deux branches de la maison de Bourbon¹. L’une d’entre elle, conduite par le frère de Ferdinand VII, Don Carlos (d’où carliste) entendait rétablir, notamment, les fueros ou privilèges desdites provinces abolis en 1714 par Philippe V², premier souverain de cette dynastie. Ainsi, le nationalisme basque naquit-il à cette époque par les écrits de Augustin Chaho (ou Agosti Xaho, 1811-1859) et de Sabino Arana Goiri (1865-1903) qui firent de l’expression zazpiak bat (les 7 font un) un slogan pour unir toutes les provinces du pays basque.
Le parti socialiste ouvrier espagnol (PSOE) penche plutôt en faveur de la reconnaissance effective des diversités espagnoles à l’inverse du partido popular volontiers centralisateur. On retrouve ainsi –et toute proportion gardée – une ligne de fracture très nette entre deux partis qui dominent presque totalement le pays ; mais ils ont un point en commun, maintenir l’unité. L’armée silencieuse depuis l’échec du coup d’état de Tejero en février 1981, ne resterait absolument pas inactive si le danger de division devenait réel.
Zapatero n’évitera pas soit une nouvelle constitution soit une réforme en profondeur de celle de 1978. Sylvia Desazars de Montgailhard le rappelait dans
Le Monde (9/10mars) : « l’Espagne n’a pas choisi un modèle d’Etat explicite, n’a pas souhaité se définir comme ce qu’elle est en train de devenir, une monarchie fédérale. »
Le centralisme bourbonien (1700) puis celui de Franco (1936/39-1975) sont-ils viables dans l’Espagne du troisième millénaire ? N’oublions pas que la reconquista (VIIIe-XVe siècle) se fit en créant, au fur et à mesure, des royaumes aux identités fortes. Charles Quint (Charles Ier d’Espagne) se heurta dés 1520/1522 aux révoltes des comuneros et des germanias³ contre, principalement, une tentative de centralisation.
L’Espagne traverse une période lourde, importante. D’un côté, les institutions européennes favorisant l’épanouissement des régions, elles alimentent les discours des nationalistes catalans, basques…etc ; mais de l’autre, les Espagnols, ne veulent pas sortir de l’hispanidad. Le terrorisme ne parvient pas à emporter la majorité du peuple basque : on vient de le voir après l’assassinat d’un ancien homme politique. Idem lors de l’échec du référendum de 2006 sur le nouveau statut de l’autonomie catalane.
La tâche de Zapatero sera de trouver le moyen de proposer un fédéralisme espagnol qui ne signifie pas, à terme, l’indépendance politique de certaines provinces ; le Roi jouant un rôle symbolique très puissant. Les partis politiques doivent également revoir leur copie respective afin qu’ils cessent de rappeler des idéologies dont ils ne gardent que l’artificiel.
Inutile de dire que Madrid a besoin encore d’une période économique dynamique et de tranquillité sociale ; mais les nuages noirs sont à l’horizon…..

©Jean Vinatier 2008

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Notes :

1- Les trois guerres carlistes : 1833-1840, 1846-1849, 1872-1876. En 1713, le Roi Philippe V par la Pragmatique Sanction établit la loi salique en Espagne qui exclue toute succession d’une femme sur le trône. En 1789, Charles IV abolit secrètement la Pragmatique Sanction. Son fils, Ferdinand VII, n’ayant eu qu’une fille, la future Isabelle II, décide de rendre publique cette abolition. Acte qui entraîne la révolte de son frère, Don Carlos et la première guerre carliste en 1833. Au-delà de la révolte dynastique, le programme politique des carlistes comprenait tout un volet politique qui perdura au-delà du XIXe siècle.
2- Philippe V (1683-1745), duc d’Anjou, petit-fils de Louis XIV. Roi d’Espagne en 1700.
3- Les comuneros désignent les révoltés de Castille ; les germanias ceux de Valence. Germania en valencien signifie frère.
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