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lundi 21 avril 2008

Aimé Césaire: politiquement poète N°187 - 1ere année

Etrange ambiance autour de la disparition d’Aimé Césaire ! Les politiques s’étaient déplacés en corps dont le Président de la République. L’unité de façade, c’est-à-dire l’hommage au grand homme, l’homme universel .…etc a volé en éclats quand on suggéra l’entrée du poète au Panthéon. A l’exception notable de Ségolène Royal, de Fabius à Yves Jégo en passant par François Hollande et François Bayrou tous se sont évertués à justifier leurs réticences. Le Panthéon ne serait-il plus le lieu de gloire des grands hommes ? A quoi servirait alors la cathédrale républicaine ? Il est vrai qu’Aimé Césaire n’est jamais devenu académicien. Qu’est-ce qui bloquait son entrée parmi les Immortels ?Etait-ce son parcours politique : maire de Fort-de France (1945-2001), député de la Martinique (1945-1993) ? Etait-ce son talent de poète ? A priori non.
Non, la négritude avait et a du mal à passer les corps constitués. D’où vient-elle ? L’idée de « négritude » trouve son origine dans un roman, Batouala de René Maran, auteur lauréat du prix Goncourt de 1921 aujourd’hui oublié.
Aimé Césaire, Léopold Sédar Senghor , Léon Gontran Damasl’ont-ils lu ? Toujours est-il que la « négritude » fait son chemin et paraît dans la revue,
l’Etudiant noir (1934-1940) avant d’être reprise dans Tropique (1941-1945). L’idée arrive au bon moment quand les mouvements indépendantistes secouent l’ensemble des empires coloniaux européens. Pour Aimé Césaire, jeune agrégé de lettres et normalien, il était temps de rompre avec les dessins enchantés du « gentil noir » ou du doudouisme lancé par le marquis de Bouillé, gouverneur des Antilles sous Louis XV et Louis XVI.
Si «
la négritude est l’universelle des valeurs culturelles de l’Afrique noire » chez Senghor, pour Césaire, cette idée doit trouver une origine politique, dynamique, combattive.
La Révolution française bouleverse l’ordre établi dans les Antilles et les Caraïbes. L’île de Saint-Domingue, partagée entre la France et l’Espagne, est le point de départ de la révolte des esclaves contre les propriétaires blancs. Ainsi des hommes illustres comme Toussaint Breda dit Louverture, Jean-Jacques Dessalines, Alexandre Pétion, Henri Christophe, Julien Boyer¹ vont-ils bousculer l’ordre « Blanc » et vaincre les armées française, espagnole, anglaise. Haïti sera le second état américain (après les Etats-Unis d’Amérique) à proclamer son indépendance et le premier à abolir l’esclavage. Haïti prendra une place déterminante dans la pensée de Césaire qu’il illustra par sa pièce, La tragédie du roi Christophe.
L’homme noir prouve dans l’œuvre de Césaire qu’il a forgé un état, libéré des hommes, construit une identité, proposé une société par la puissance de son combat politique. L’extrait tiré du Cahier d’un retour au pays natal est tout en force :

« ma négritude n'est pas une pierre, sa surdité ruée contre la clameur du jour
ma négritude n'est pas une taie d'eau morte sur l'œil mort de la terre
ma négritude n'est ni une tour ni une cathédrale
[…]
l'homme-famine, l'homme-insulte, l'homme-torture
on pouvait à n'importe quel moment le saisir le rouerde coups,
le tuer - parfaitement le tuer - sans avoir
de compte à rendre à personne sans avoir d'excuses à présenter à personne
un homme-juif
un homme-pogrom
un chiot
un mendigot »²
Et c’est justement cela qui gêne ! Le combat d’un Léopold Sédar Senghor était plus acceptable pour le pouvoir métropolitain, celui d’une colonie qui gagnait son indépendance ; alors que la négritude de Césaire n’indiquait pas de séparation avec la France sauf y à revendiquer une autonomie. La République une et indivisible admettait-elle cette possibilité ? Non, la négritude de Césaire ne passait pas. « Ce mot, disait Césaire, dissèque en premier lieu le rejet. Le rejet de l’assimilation culturelle ; le rejet d’une certaine image du Noir paisible, incapable de construire une civilisation. »
Par ses œuvres, Aimé Césaire a passé des relais relais mais la France officielle rechigne à s’en saisir tant elle doute de la dimension politique. C’est bien dommage. Quel honneur pour une nation de compter en son sein des hommes poètes! Les officiels répondent malhabilement comme empêtrés, gênés, tiraillés par leurs craintes du lendemain. Si la République avait un sens, naturellement Aimé Césaire entrerait au Panthéon.

©Jean Vinatier 2008

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Source :


2-in Cahier d'un retour au pays natal, préface d’André Breton, Paris, Bordas, 1947

Notes :

1- Toussaint-Louverture (1747-1803) Premier président d’Haïti
Jean-Jacques Dessalines (1758-1806) Empereur d’Haïti 1804-1806 (nord)
Alexandre Sabès dit Pétion (1770-1816) Président d’Haïti 1806-1816 (nord)
Henri Christophe (1767-1840) Roi d’Haïti 1806-1820 (sud)
Jean-Pierre Boyer (1776-1850) Président d’Haïti 1818-1843

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