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jeudi 10 avril 2008

Knut Hamsun : Faim N°180 - 1ere année

Knut Hamsun (1859-1952) prix Nobel de littérature en 1920, écrivain populaire en Norvège jusqu’à la seconde guerre mondiale. En 1940, le royaume de Norvège est occupé par les nazis. Un régime collabo s’installe, celui de Quisling, Hamsun le soutient. Ce sera son déshonneur. Arrêté puis jugé en 1948, il n’aura pas à répondre de tous ses actes tant il était vénéré. Le gouvernement norvégien affectera de le considérer comme une « personnalité aux facultés mentales affaiblies de façon permanente ».
Faim est un récit autobiographique terrible à double face. D’un côté, la faim est le sujet central avec tous les troubles intellectuels et physiques qu’elle entraîne ; de l’autre côté, c’est l’orgueil d’Hamsun et ses troubles pathologiques qui doublent sa souffrance. « Tout ce qu’il prend ou qu’on lui donne, il le vomit presque aussitôt [….] Il est « quelqu’un qu’attire l’abîme » » note son préfacier, André Gide.
Pourquoi cette œuvre ? Lisez les deux extraits ci-dessous et oubliez la décadence de Knut Hamsun…à moins que la décadence nous arrime à telle ou telle dictature ? Partout dans le monde éclatent des émeutes de la faim (Mexique, Haïti, Egypte, Yemen, Jordanie, Thaïlande….etc) et partout la désespérance balaie la raison. Nos sociétés atlantiques comptent de plus en plus d’hommes dans la précarité. Songez qu’aux Etats-Unis, 28 millions de ses habitants bénéficient des « food stamps » (bons alimentaires) soit prés de 10% de la population ! Et il s’agit de la première puissance mondiale !
Prise de conscience avant tout !

« Alors, la colère monta en moi, ardente et brutale. J’allai chercher mon paquet sous le porche, serrai les dents et bousculai les gens paisibles sur le trottoir sans m’excuser. Quand un monsieur s’arrêta et me réprimanda un peu vertement sur ma conduite, je me retournai, lui criai dans l’oreille un seul mot dépourvu de sens, lui mis le poing sous le nez et poursuivis mon chemin, endurci dans une rage aveugle que je n’étais pas capable de gouverner. Il appela un agent de police et mon plus vif désir était d’avoir un agent de police entre les mains un instant, je ralentis exprès le pas pour lui donner l’occasion de me rattraper, mais il ne vint pas. Y avait-il la moindre raison aussi à ce qu’absolument toutes vos tentatives les plus ardentes et les plus acharnées échouent ? Ainsi, pourquoi avais-je écrit 1848 ? En quoi cette damnée date me concernait-elle ? Maintenant, j’étais là à avoir faim à tel point que mes entrailles se recroquevillaient en moi comme des serpents, et il n’était écrit nulle part qu’il y aurait un peu de quoi manger, la journée s’avançant. Et au fur et à mesure que le temps passait, j’étais de plus en plus miné, intellectuellement et physiquement, de jour en jour, je m’abaissais à des actes de moins en moins honorables. Je me tirais d’affaires par des mensonges, sans rougir, je flouais de pauvres gens de leur loyer, je luttais même contre les pensées les plus ignobles, comme de m’approprier les couvertures d’autrui, le tout sans regret, sans mauvaise conscience. Des taches pourries se mettaient à pénétrer mon intérieur, des champignons noirs qui s’étalaient de plus en plus. Et, là-haut dans le ciel, Dieu gardait un œil éveillé sur moi et veillait à ce que ma ruine se passât selon toutes les règles de l’art, lentement et régulièrement, sans rupture de rythme. Mais dans l’abîme de l’enfer, les méchants diables allaient en se hérissant de fureur parce que de temps en temps s’écoulait avant que je fisse un pêché capital, un pêché impardonnable pour lequel dans sa justice, Dieu devait me précipiter…..
[…]Mon Dieu ! ce que tu peux inventer ! pensai-je avec indignation. Courir comme un fou dans les rues trempées, comme ça dans la nuit noire ! La faim me rongeait de façon intolérable, elle ne me laissait pas de repos. J’avalai ma salive, encore et encore, pour apaiser un peu ma faim de la sorte, il me sembla que cela aidait. J’avais pris trop peu de nourriture pendant des semaines avant que ceci n’arrivât et mes forces avaient sensiblement diminué ces derniers temps. Quand j’avais eu la chance de dénicher une pièce de cinq couronnes par une quelconque manœuvre, cet argent ne durait pas assez longtemps pour que je sois remis complètement en état, une nouvelle période de faim m’accablait et me mettait à genoux. C’est pour mon dos et mes épaules que ç’avait été le pire. Le petit grignotement dans ma poitrine, je pouvais l’arrêter un moment en toussant assez fort ou en marchant bien courbé. Mais, pour le dos et les épaules, je n’avais pas de remède. Comment pouvait-il se faire tout de même que les choses ne voulaient pas s’éclairer pour moi ? Peut-être n’avais-je pas le droit de vivre autant que n’importe qui d’autre, le bouquiniste Pascha et l’employé des vapeurs Hennechen, par exemple ? Est-ce que, peut-être, je n’avais pas les épaules de géant et deux énormes bras pour travailler, et est-ce que, peut-être, je n’étais pas allé jusqu’à solliciter une place de coupeur de bois dans Mollergaden pour gagner mon pain quotidien ?Etais-je paresseux ? N’avais-je pas cherché du travail et suivi des cours et écrit des articles de journaux et étudié et travaillé jour et nuit comme un fou ? Et n’avais-je pas vécu comme un avare, prenant du pain et du lait quand j’étais à l’aise, du pain sec quand j’avais peu d’argent, et mourant de faim lorsque je n’avais rien ? Est-ce que j’habitais à l’hôtel, avais-je une suite au rez-de-chaussée ? Dans un grenier, j’habitais, dans un atelier de ferblantier que tout le monde avait fui l’hiver dernier parce qu’il y neigeait. Si bien que je ne m’y retrouvais absolument pas dans tout cela !
J’allais réfléchissant à tout cela, et il n’y avait pas même une étincelle de méchanceté ou d’envie ou d’amertume dans ma pensée. »


©Jean Vinatier 2008

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Source :

Knut Hamsun, Faim, trad. du norvégien par Régis Boyer, Préface de André Gide, Paris, PUF, 1961 & 2006, pp.41-42, 54-55. Prix 11€
L’ouvrage a paru en norvégien en 1890 et a été traduit en français en 1895 par Edmond Bayle.

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