La voix du citoyen est une publication réalisée à la veille de
l’ouverture des Etats-Généraux en 1789 par Charles Lebrun (1739-1824), futur
architrésorier de l’Empire et duc de Plaisance. Homme de confiance du
chancelier Maupeou qui opéra sous l’autorité de Louis XV la mise au pas des
Parlements en janvier 1771 et qui vit inquiet, Louis XVI y renoncer en novembre
1774.
Observateur lucide de la marche des événements, pressentant la
tragédie, il entendit par cette brochure assembler ses réflexions sur ce moment
qu’il jugeait évidemment historique à savoir la réunion des Etats-Généraux. Royaliste,
il le resta de cœur malgré les honneurs reçus sous l’Empire et surpris, comme
Charles-Maurice de Talleyrand d’avoir survécu à l’effondrement d’une société et
à la mise mort d’une légitimité sacrée.
Je vous propose le début et la fin de La voix du citoyen :
« Une révolution préparée
par un long enchaînement de fautes et de malheurs, forcée enfin par la
nécessité, va changer ou régénérer la constitution de ma Patrie.
Tant que cet événement a été
reculé, tous les efforts se sont réunis pour renverser les barrières qui
semblaient en arrêter la marche.
Le caractère le plus auguste
ne sera plus dans les magistrats que le gage de sa confiance, le prix des
talents et des vertus.
Une sage discipline les
rappellera sans cesse aux lois de leur état et de leur devoir.
[Le sanctuaire de la justice
ne sera ouvert ni à l’opportunité ni à la faveur ; Sa Majesté veut que le
choix de ses officiers éclaire et prépare le sien.
Cette autorité quelle venge
avec éclat quand elle est méconnue, elle aime à la communiquer à des magistrats
fidèles et respectueux et elle n’est jalouse de ses droits que pour assurer le
bonheur de ses peuples].
Quand ces barrières sont
tombées, la division commence, et, à la vue des débris (de cette
administration) qu’il faut partager, chaque Ordre, mécontent de la portion que
lui assignent sa position et ses forces, balance, mesure d’un œil jaloux les
droits et les prétentions des autres Ordres, et semble prêt à repousser une
constitution qui dans le lointain s’offrait avec tant d’éclat et d’avantage.
Détaché depuis longtemps de la
chaîne générale, je n’ai été jusqu’ici sue le spectateur des mouvements qui
agitaient mes Concitoyens.
Je ne suis point doué de cette
imagination ardente qui s’exagère les rigueurs de la servitude ou les douceurs
de la liberté ; j’ai toujours redouté pour le siècle à j’avais à vivre les
secousses soudaines, les changements impréparés qui cimentent du sang des pères
le malheur ou la gloire de leur postérité.
Ce n’est pas que je puisse
aussi m’élever à la hauteur d’un homme libre. Mais j’aurais voulu y arriver par
des gradations ménagées ; j’aurais voulu que des Ministres sages,
dévoilant à leur Maître le secret d’un avenir sur lequel réunissaient tant de
clartés, lui eussent inspirés d’abaisser son trône quand il le pouvait sans l’avilir,
et d’asseoir des mains de l’autorité même la borne immuable où devaient s’arrêter
et l’autorité du Prince et les prétentions des Sujets.
Oh ! si ce Ministre
insouciant (Maurepas), qui ne fit du
pouvoir suprême que le hochet de sa vieillesse, eût apporté de sa longue
retraite les pensées d’un homme d’état mûries par l’expérience et la méditation !
Si dans ces premiers moments
où une jeune Nation enivrée courait au-devant d’un nouveau joug, un Roi jeune
environné des illusions de l’espérance, de tout le bonheur, de toute la gloire
dont nous composions son règne, eût daigné s’asseoir au milieu de cette nation !
C’était alors qu’une
administration éclairée aurait pu, en dépouillant les formes despotiques,
donner au Gouvernement plus de force et de vigueur, renverser des mains des
peuples ces obstacles nés de l’abus et de l’impuissance qui, heurtant à chaque
pas la marche de l’autorité, la rejetaient plus pesante sur tout ce qui ne
résistait pas à sa faiblesse, établir d’utiles contrepoids ; lier d’une
chaîne commune tous les Ordres, et
pourtant les relever tous ; confondre dans un seul intérêt les
intérêts de toutes les provinces, et créer enfin une Monarchie.
Si cet autre Ministre (Vergennes ?), qui connut, dit-on le
secret des forces de l’Europe et oublia d’étudier celles de la France, eut
arrêté sur nos finances, sur le développement du caractère national,
quelques-uns de ces regards qu’il perdait sur le reste de l’univers, sans doute
il eût pu réunir les esprits au pied d’un trône qu’environnaient encore
quelques rayons de gloire, et d’une main assurée poser les fondements d’une
constitution nouvelle.
[…..]
Je laisse à d’autres le pénible
et inutile soin de tracer la marche de la Nation, de fixer l’ordre de ses
délibérations et de marquer les écueils semés sur sa route. C’est de vous Sire,
et de vous seul, que j’attends le bienfait de cette heureuse constitution qui
doit lier, par d’indissolubles nœuds, le pouvoir suprême et la liberté
publique. Elle est nécessaire à votre cœur autant qu’à nos intérêts ; et
Votre Majesté la désire comme le monument le plus solide de sa gloire et le
gage le plus assuré de son repos. Si nous reportons nos regards sur quinze
années d’un règne commencé sous les plus heureux hospices, nous la verrons
toujours suivre avec inquiétude les mouvements de l’opinion publique, incliner,
pour ainsi dire, son sceptre à sa voix, et chercher à son autorité l’appui du vœu
général.
Mais l’opinion vraiment
publique, le vœu vraiment général, ce n’est qu’au milieu de la Nation assemblée
qu’ils se forment et se font entendre sans équivoque et sans obscurité. Hors de
là, vous ne trouverez, Sire, que le murmure de l’intérêt particulier, l’expression
[sinon] infidèle, du moins l’expression toujours suspecte des sentiments de vos
sujets. Entouré du seul conseil qui ne peut vous tromper, vous déploierez
désormais, sans crainte, un pouvoir qu’une triste expérience vous avez appris à
redouter ; et, par une seule loi, vous aurez assuré, pour jamais, la
tranquillité de votre règne et le bonheur des générations futures.
FIN »
Source :
Villette (Patrice de
Chantemerle de) : Charles-François
Lebrun (1739-1824).Troisième consul, prince architrésorier de l’Empire, Duc de
Plaisance. Edition à compte d’auteur, Paris, 2014, pp.532-533 ; 565.
L’auteur est un descendant de Charles-François Lebrun. L’ouvrage
est bien davantage une compilation de sources, de textes, de citations qu’une
biographie.
Jean Vinatier
Seriatim 2016
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