« Chaque génération, sans doute, se croit vouée à refaire le monde »,
écrit le sociologue Jean-Pierre Le Goff (1). « La mienne sait pourtant qu’elle
ne le refera pas. Mais sa tâche est peut-être plus grande. Elle consiste à
empêcher que le monde se défasse…». Mais à observer la houle profonde qui
bouscule les sociétés occidentales, des Etats-Unis à l’Europe, on peut être
pris de doute. C’est Donald Trump que les Américains ont porté au pouvoir, un
président occupé à pulvériser l’ordre néolibéral établi – parce qu’il pense,
comme ses électeurs, qu’il a fait son temps. Et il mène, au milieu des cris de
ses opposants, un train d’enfer. En Europe ? Ce sont les Britanniques qui ont
commencé, en décidant, le 23 juin dernier, qu’ils quittaient le navire de
l’Union pour reprendre leur gouvernail en main – défaire pour reconstruire. Et
leur Parlement vient de donner à Theresa May, le 8 février, le feu vert (494
voix contre 122) pour officialiser le divorce – avant que la chambre des Lords
ne se prononce à son tour. Au pire, il y aurait une navette, mais la messe est
dite.
Sur le continent européen aussi, les peuples chahutent, chacun à sa
manière. Voyons. L’Espagne continue à vivre avec un chef de gouvernement
soupçonné de corruption, pendant que les chefs du parti contestataire Podemos
se déchirent et que les socialistes restent divisés. En Italie, après l’échec
d’un référendum destiné à modifier la Constitution, l’establishment tremble :
le parti du trublion Beppe Grillo, Cinq étoiles, pourrait remporter des
élections législatives anticipées au printemps – avec des conséquences
imprévisibles sur l’avenir de l’euro. En Grèce, les paris sont rouverts sur le
maintien du pays dans la monnaie unique, après un rapport très incisif du Fonds
monétaire international (FMI), qui considère que « la dette grecque, qui frôle
180% du PIB, est ‘totalement intenable’ à long terme » (3) et conditionne son
aide à un réaménagement, pendant que le ministre allemand des Finances durcit
sa position et parle tout bas d’un Grexit (4). En Roumanie, d’énormes
manifestations, qu’on n’avait plus vues depuis la chute de Nicolae Ceaucescu en
1989, ont éclaté dès le 18 janvier pour atteindre leur paroxysme dimanche 5
février, avec 500 000 personnes dans les rues. Le gouvernement avait tenté,
sans bruit et de nuit, de faire passer un décret abaissant le seuil de ce qui
pourrait s’appeler abus de pouvoir – comprenez corruption (5). Et malgré le
recul des politiques, la vigilance demeure.
Maladie de ces pays du sud européens, laxistes et récalcitrants, considérés
comme le Club Med par les Allemands ?
Que non. Aux Pays-Bas, il y aura des législatives le 15 mars prochain.
Elections que le Parti pour la Liberté de Geert Wilders pourrait bien gagner.
On sait que le référendum d’avril dernier (6) contre l’accord d’association UE
Ukraine a été remporté avec une majorité écrasante (60%) et que Geert Wilders
porte une position anti euro et anti immigration qui a la faveur d’une
population lasse de n’être pas écoutée (comme elle ne l’avait pas été en 2005
après avoir refusé le Traité constitutionnel européen). Le très européiste
Jean-Pierre Stroobants, du Monde (7), convient lui-même que le Premier ministre
sortant, Mark Rutte, qui s’efforce, en ciblant d’une manière ambiguë les
musulmans, de « pêcher dans le vivier Wilders » et apparaît « déjà aux yeux de
nombreux Néerlandais comme un homme aux convictions particulièrement flexibles
», prend des risques. Et si les électeurs préféraient l’original à la copie ?
Et s’ils lui rappelaient ses promesses non tenues ? L’affaire est incertaine.
Et puis il y a la vertueuse Suède, où les conservateurs tendent la main à
l’extrême droite : « Anna Kinberg Batra, chef de file des conservateurs, a en
effet invité les élus d’extrême droite à la soutenir pour un projet de loi
présenté à l’automne prochain. Un projet de loi crucial puisque, s’il passe, le
gouvernement de gauche sera renversé, bien avant la prochaine législative de
2018 (…). Une alliance entre conservateurs et extrême droite pourrait en
réalité avoir des conséquences désastreuses au sein de l’opposition et signer
la fin de la large coalition qui s’y est formée » (8).
Rien d’extraordinaire ? Mais si.
La suite
ci-dessous :
Jean Vinatier
Seriatim 2017
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