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dimanche 4 juillet 2021

Comment l’empire romain s’est effondré ? par Kyle Harper N°5754 15e année

Je lis cet ouvrage tout à fait passionnant et hautement instructif. Je soumets à vos curiosités et observations ces deux extraits originaux qui devraient interpeller tellement nous sommes emportées par les connexions dérivantes de notre époque.

 

« [….] Il reste à utiliser ces connaissances de manière complète et consistante pour étudier le passé, mais les implications dans la manière dont nous pensons la place de la civilisation romaine dans l’histoire des maladies est révolutionnaire. Nous allons essayer d’imaginer le monde romain, de part en part, en tant que milieu écologique pour les micro-organismes. Pour commencer, l’Empire romain a été précocement urbanisé. L’Empire était un gigantesque standard téléphonique bourdonnant connectant les cités. La ville romaine était une merveille d’ingénierie civile, et il ne fait pas de doute que les latrines, les égouts et les systèmes d’adduction d’eau réduisaient les effets les plus redoutables du traitement des déchets. Mais ces contrôles de l’environnement affrontèrent des forces irrésistibles : ils constituaient un fragile barrage fissuré de toute part contre un océan de germes. En ville, les rats grouillaient, les mouches pullulaient, les petits rongeurs couinaient dans els passages et les cours. Il n’y avait pas de théorie microbienne, on se lavait peu ou pas les mains, et la nourriture ne pouvait pas être protégée des contaminations. La cité ancienne était un lieu d’insalubrité maximale. Les maladies banales se répandant par contamination féco-orale, causes de diarrhées fatales, étaient sans doute la première cause de mortalité dans l’Empire romain.

Hors les villes, la transformation du paysage a exposé les Romains à des menaces tout aussi périlleuses. Les Romains n’ont pas seulement modifié les paysages ; ils leur ont imposé leur volonté. Ils ont coupé ou brûlé les forêts. Ils ont déplacé les rivières et asséché les lacs, construit des routes au travers des marais les plus impénétrables. L’empiétement humain sur de nouveaux environnements est un jeu dangereux. Il expose non seulement à de nouveaux parasites inhabituels mais peut provoquer une cascade de changements écologiques aux conséquences imprévisibles. Dans l’Empire romain, la nature prit sa revanche dans une tonalité sinistre. Le premier agent de représailles a été le paludisme. Répandu par les piqures de moustiques, il s’est abattu comme des albatros sur la civilisation romaine. Les collines tant vantées de Rome ne dominent rien moins qu’un marais. La vallée du fleuve, sans parler des bassins et des fontaines dispersés dans toute la ville, était un refuge pour les moustiques et faisait de l’urbs impérial un réservoir de paludisme. Le paludisme était un tueur vicieux à la ville comme à la campagne, partout où le moustique anophèle prospérait.

L’environnement des maladies romaines, c’était aussi l’ensemble des connexions à travers tout l’Empire, qui avait crée une zone intérieure de commerce et de migrations comme il n’en avait jamais existé auparavant. Les routes terrestres et maritimes étaient empruntées non seulement par les gens, les idées et les biens – mais aussi par les germes. Nous pouvons voir ce système se dégrader à différents rythmes. Il est possible de suivre la diffusion de tueurs lents comme la tuberculose et la lèpre qui se sont déterminées à travers l’Empire dans une combustion lente, comme de la lave. Quand les maladies capables de se répandre à un tel rythme sautèrent sur la grande courroie de transmission des routes romaines, les conséquences furent électriques.

[….]

Les grands ennemis de l’Empire romain étaient engendrés par la nature. C’étaient des envahisseurs mortels, exotiques, venant au-delà des frontières. Pour cette raison, faire une histoire trop étroite de l’Empire romain, c’est regarder les choses dans un tunnel. L’histoire du déclin et de la chute de Rome s’entremêle avec l’histoire environnementale globale. Au cours de la période romaine, il y a eu un bond quantique en avant en matière de connectivité globale. Les Romaines recherchaient de la soie et des épices, des esclaves et de l’ivoire, alimentant un mouvement frénétique à travers les frontières. Les marchands franchissaient le Sahara le long des routes de la soie, et traversaient l’océan Indien en passant par les ports de la mer Rouge construits grâce à la puissance de l’Empire. Les animaux exotiques destinés à être massacrés au cours des spectacles romains sont comme des traceurs macroscopiques : ils empruntaient les routes par lesquelles les romains se frottaient à de nouvelles maladies encore inimaginables. Le fait le plus élémentaire de la biodiversité globale est le gradient de latitude des espèces, la plus grande richesse de toutes les formes de vie étant à proximité de l’équateur. Dans els régions tempérées et polaires, les âges de glace récurrents ont périodiquement fait disparaître les expériences tentées par l’évolution et il y a tout simplement moins d’énergie et moins d’interactions biotiques dans les climats les plus froids. Les tropiques sont un « musée » de la biodiversité et les hauts niveaux d’énergie solaires ont conspiré à créer un entremêlement biologique et impondérable. Ce schéma vaut pour les micro-organismes y compris ceux qui sont pathogènes. Dans l’Empire romain, les réseaux de connexion créés par les humains s’étendaient de manière insouciante au travers de zones où la nature est particulièrement active. Les Romains ont aidé à bâtir un monde où des étincelles pouvaient déclencher des conflagrations à l’échelle intercontinentale. L’histoire romaine est un chapitre crucial de l’immense histoire humaine. »1

 

Source :

1-Harper (Kyle) : Comment l’Empire romain s’est effondré : le climat, les maladies et la chute de Rome, La Découverte, Paris, 2021 pp.56-58, 59-60.


https://www.editionsladecouverte.fr/comment_l_empire_romain_s_est_effondre-9782348037146

 

En américain : The fate of Rome :

https://press.princeton.edu/books/hardcover/9780691166834/the-fate-of-rome

 

Jean Vinatier

Seriatim 2021

 

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