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jeudi 5 juin 2008

La démocratie d’opinion : un problème ? N°220 - 1ere année

L’Institut Pierre Mendés France a organisé le 29 mai dernier un débat entre Régis Debray et Jacques Julliard intitulé, « L’opinion maladie infantile ou sénile de la démocratie ? »¹.
On est un peu surpris par le terme de maladie. En effet, une maladie désigne un état non naturel voire dramatique. La démocratie engendrerait-elle une maladie de bêtise ou de la dégénérescence dénommée opinion ? Qu’est-ce qu’une opinion ? C’est un avis, une manière de penser ; point de précision mais du général, de l’insaisissable, de l’imprécis, du mystérieux.
Jacques Julliard propose la doxacratie (du grec doxa (opinion) et kratos (pouvoir)) afin de situer historiquement le débat et l’arrimer à Athènes. Les deux orateurs pesant la problématique dans le seul cadre français.
Sans faire, ici, une critique de ce débat, le thème interroge la singularité que constituerait une démocratie d’opinion et dans laquelle nous serions. L’opinion irait-elle du représentant vers le peuple et ce dernier par son avis individuel ou collectif renverrait à l’élu son opinion, ou l’opinion serait-elle indépendante de l’assemblée politique ?
C’est, semble-t-il, réduire de beaucoup l’exercice démocratique d’une part, et d’autre part, c’est vouloir formater les citoyens dans une « opinion » qualifiée, pour ce débat, d’infantile ou de sénile.
L’opinion est un fait naturel des citoyens. Avant 1789, on avait l’opinion publique, surtout celle des salons, des coteries et des libellistes. Lors de la Révolution française, les clubs et les sections furent de redoutables lieux d’opinions utilisés ou subis par tel ou tel « parti » présent dans l’Assemblée. Le XIXe siècle et la moitié du suivant seront ceux des partis et de leurs journaux qui feront les opinions dans lesquelles les citoyens se retrouveront. On peut parler, peut-être, de la maîtrise de la démocratie d’opinion par les hommes politiques.
Maintenant, le rapport démocratie/opinion formerait-il donc un couple bancal où seule la première aurait la légitimité, la seconde n'aurait qu'un état fébrile et émotif ; la presse jouant le rôle d’intercesseur entre les deux ? L’opinion, dans le monde contemporain, loin d’être l’apanage du seul citoyen serait aussi entre les mains des sondeurs et de la blogosphère via l’Internet, autant de dérives qui pollueraient et pervertiraient le débat démocratique, la qualité de l’élu du peuple (député, maire) et, in fine dérouterait le citoyen lambda.
Un tel propos induit un rapport de force étrange entre celui qui représente et celui qui dit « sa manière de penser ». Le développement de l’Internet place entre les mains de tout un chacun y compris les élus, le moyen d’exprimer un avis sur le sujet qu'il retient. Tient-il pour autant à peser sur la démocratie ? Vouloir à tout prix établir le blogueur en inquisiteur, en imprécateur ou laudateur semble précipité ! Il y a principalement l’état naturel des hommes à dire ce qu’ils pensent de la cité. Dans l’Antiquité, on se rendait sur le forum, plus tard sur la place puis dans la rue, maintenant on est sur la toile. C’est un déplacement de lieu plus qu’une montée en nuisance présupposée du citoyen/blogueur.
La démocratie tout comme le régime politique ne tient que par les hommes et les valeurs qu’ils représentent et ce pour quoi les citoyens les mandatent. La démocratie étant le fait des hommes, elle évolue au même rythme qu’eux d’une part, et, au début du IIIe millénaire, d’autre part, elle est naturelle à la plupart des Nations.
Au nom de quoi, le peuple se tairait-il, une fois l’élection proclamée ? Le citoyen n’est pas un homme soumis, il est libre. L’élu, le ministre, le chef de l’Etat et l’opinion ne sont ni des ennemis, ni des amis mais seulement des citoyens mandatés ni plus, ni moins. Il revient aux hommes d’Etat de dépendre ou pas de telle ou telle opinion. On ne voit rien qui annonce une maladie infantile ou de sénilité de la part de l’opinion ; c’est semble-t-il un débat faussé. Vivant dans une démocratie l’existence d’une opinion n’est pas une maladie mais une évidence. Ce sont les instruments entre les mains des citoyens qui font craindre aux élus et aux médias une dépossession d’influence. La comtesse de Boigne notait dans ses Mémoires, le niveau de connaissance politique, sous Charles X, des ouvriers et comprenait, alors, a posteriori la puissance des événements révolutionnaires. Il est important de relever que l’hostilité grandissante de Nicolas Sarkozy vis-à-vis de l’Internet l’engage vers une mise sous tutelle de la télévision et d'influer sur les autres médias traditionnels. Il veut une opinion conduite, formatée qui reproduira son message. Etrange aveu de crainte ! Or, la presse française s’est discréditée lors du référendum de 2005 en relayant passivement les seuls avis gouvernementaux et ceux des partisans du oui au projet de constitution européenne.³ Est-il étonnant que le citoyen se tourne vers l’Internet pour se faire une opinion et la diffuser ? Les générations actuelles désertent les programmes de télévision au profit des jeux vidéo, des DVD et de l’Internet où leurs opinions se forment.
L’opinion démocratique n’est ni un danger, ni une chance, elle coule de source. Le déséquilibre vient quand le représentant du citoyen n’a plus de conviction, ne considère pas les outils de communication à leur juste valeur et affecte de regarder l’opinion du citoyen comme un état maladif, émotif. Quelle que soit la façon dont on tourne et retourne la question, si l’on part du principe que l’élu choisi par le citoyen est légitime, c’est au premier de se montrer doué de raison, d’écoute, d’arbitrage. L’opinion citoyenne est le bruit normal de la cité et n’a pas pour but ultime de concurrencer l’Assemblée. En se faisant une opinion avec les outils de son temps, le citoyen de conviction ne désire-t-il pas bien élire son député ?
A terme, si ce souci de distinguer la démocratie de l’opinion perdurait, le danger ne serait-il pas de créer deux corps distincts, l’opinion formant la société civile ?

©Jean Vinatier 2008

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Sources :


1-
http://www.mendes-france.fr/
et les extraits dans Le Monde du 2 juin 2008
+
http://www.ledevoir.com/2008/02/04/174578.html

2-
http://www.marianne2.fr/Franck-Louvrier-sus-a-Internet_a87901.html?PHPSESSID=4457452fa30b3a1602a2fcf2277564c2

3- En 2003, la presse anglo-saxonne s’est décrédibilisée en relayant les avis gouvernementaux, américain, anglais, mensongers.

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