Info

Nouvelle adresse Seriatim
@seriatimfr
jeanvin22@gmail.com



mercredi 31 décembre 2008

William Pfaff : « L’empire américain a été de courte durée » N°370 - 2eme année

Le grand journaliste et historien américain William Pfaff (1928) est un homme de grand savoir et d’une sagesse peu commune.
Il semble intéressant de proposer la lecture de quelques pages de son ouvrage
, Le réveil du vieux monde, paru en France en 1990.

« Les Américains se trouvent à un tournant décisif dans l’histoire des relations de leur nation avec le monde, et, ils sont peu disposés à admettre que les Etats-Unis ne sont pas une nation unique. Nous sommes de nouveau prêts à dédaigner le monde, comme nous le fîmes par le passé, et nos amis et clients peut-être davantage encore que nos ennemis soviétiques officiels, puisqu’il a été possible de trouver avec ces ennemis une parenté de puissance et d’isolement, tandis que nos amis et clients sont des importuns ; ils ont pris leur part dans nos propres désillusions et ils sont de plus nos rivaux. Nos alliés et clients sont accessibles à notre colère. Nous ne sommes pas démunis en face à eux : nous pouvons les punir d’avoir coopéré à notre désillusion et d’être devenus cyniques en ce qui nous concerne, nous et nos mobiles. Quant à nos ennemis, nous voulons croire qu’ils ont le pouvoir de nous soulager de tout engagement dans les affaires mondiales. Ce sont nos amis qui nous paralysent, qui nous font des reproches, qui s’accrochent à nous et font valoir leurs droits moraux.
L’empire américain a été de courte durée : né dans l’urgence, il a survécu grâce à un idéalisme qui appartient déjà au passé. Même l’empire polonais, qui s’étendit brièvement de la Baltique à la mer Noire, fut moins éphémère. Et l’empire américain a manqué de sérieux : fondé sur des idées reçues et des ambitions mal calculées, il a été le moyen, pour une nation solipsiste, de réagir à un monde extérieur dont la particularité même a paru menaçante. Peut-être faut-il porter au crédit de l’Amérique de ne s’être jamais entièrement abandonnée à un véritable impérialisme alors même qu’elle le pratiquait : nous avons toujours formellement nié nous trouver en dehors de nos frontières si ce n’est pour une période des plus courtes et dans des buts on ne peut plus désintéressés. Notre pompe impériale elle-même était peu convaincante. Les plus récentes cérémonies martiales de Washington n’avaient ni la grandeur romaine ni le caractère menaçant des fastes de Nuremberg. Elles ont toujours gardé un côté show-biz qui témoigne des efforts des copains hollywoodiens de nos présidents, une physionomie qui rappelle les défilés de majorettes et les orchestres de lycéens.
L’internationalisme du dernier quart de siècle, la chose est désormais claire, n’a été qu’un avatar du nationalisme, sans véritable passion pour gouverner des royaumes d’opérette ou dominer l’exotique. Nous voulions le pouvoir, mais nous souhaitions aussi que l’on nous reconnût ce pouvoir de plein droit ; ce siècle, prétendions-nous, était le nôtre, en fonction de notre altruisme et de l’universalité de nos valeurs. Qu’on nous refusât cela, et notre volonté impériale se trouvait ébranlée. Il ne pouvait en être autrement, parce que nous demeurons un isolat et un peuple moralement isolé. Jamais nous n’avons su accepter sans passion les autres pour ce qu’ils sont, car cela eût supposé également de notre part un jugement détaché sur ce que nous sommes. Mais nous est-il possible aujourd’hui de faire marche arrière, de contenir à l’intérieur de ces limites continentales nos énergies en même temps que ces tensions explosives ? Pouvons-nous regarder en face ce que nous sommes vraiment, avec tout ce que cela suppose de désarroi intérieur et d’incertitude nationale – de dessein national inaccompli ? Nous ne possédons pas le privilège d’un retour à l’innocence
.

[…]

On peut songer à ce qui est arrivé aux Etats-Unis depuis un demi-siècle avec regret, ou avec ironie ; on peut également se demander si une confiance pondérée en l’avenir ne serait pas de bon aloi. L’isolement pourrait être bénéfique au pays. Les Etats-Unis pourraient se retrouver ; les moyens d’une reconstruction existent – ainsi « cette rudesse et cette force qui vont de pair avec l’acuité et la curiosité, ce sens pratique, cette inventivité, ce tour d’esprit prompt à trouver des expédients […] cette inépuisable et turbulente énergie, cet individualisme triomphant, pour le meilleur ou pour le pire, sans oublier cet allant et cette exubérance » pour reprendre les termes de l’historien de la frontière Frederick Jackson Turner. Mais la volonté existe-t-elle ? Sommes-nous disposés à faire preuve de sérieux, à consentir à nouveau des sacrifices, à nous reprendre en main ? Pour l’heure, nous n’avons toujours pas payé le prix d’une hypothétique gloire. L’ombre d’un possible échec et d’un « terrible gâchis » n’a fait que s’allonger. Seule demeure la frontière intérieure, la plus rebutante, la plus mystérieuse. Le pays (pour citer encore une fois Fitzgerald, qui écrivait ces mots en 1929) paraît encore posséder « cette qualité de l’idée […] un empressement du cœur ». Mais est-ce encore vraiment le cas ? Nous sommes à la veille des années 1990, et il s’est passé tant de choses…Demain tranchera


Jean Vinatier

©SERIATIM 2008

Commentaires : Si vous n’avez pas de compte Gmail, et pour éviter le noreply-comment veuillez envoyer vos commentaires à :
jv3@free.fr

Site de William Pfaff
:
http://williampfaff.com/

Source :

William Pfaff, Le réveil du vieux monde, Paris,Calman-Levy, 1990, pp.266-268, 270-271

Aucun commentaire: