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mardi 7 octobre 2008

Afghanistan : bal masqué à Kaboul ? N°305 - 2eme année

Alors qu’une tempête mondiale parcourt les bourses, une guerre menée contre le terrorisme, en Afghanistan, menace, elle aussi de finir ou en défaite ou pire encore en débâcle.
Le général commandant les forces anglaises, Mark Carleton-Smith, et l’ambassadeur, Sir Sherard Cowper-Coles, ne cachent plus l’impossibilité de vaincre les talibans.¹ Quelques jours plus tôt, le Président Karzaï appelait officiellement le mollah Omar à entrer en négociation avec lui et il priait le roi Abdallah Ier d’Arabie Saoudite d’intervenir.
Ne nous trompons pas, les négociations n’ont jamais cessé, elles deviennent, aujourd’hui, davantage publiques.
Les talibans (à majorité pachtoune) répètent qu’ils refuseront de mettre fin aux combats si onze conditions - dont le retrait des troupes étrangères sur le sol afghan - ne sont pas remplies. Aux dernières nouvelles, les Etats-Unis, la Grande-Bretagne et la France s'apprêtent à renforcer leurs contingents, tandis que les capitales occidentales démentent tout contact avec les talibans.
A priori les chances d’une négociation sont minces, personne ne pouvant reculer ! Ni les talibans, ni Karzaï. Si seulement les forces étrangères démontraient qu’elles parvenaient à « rompre le lien entre le réseau Al-Qaida d'Oussama Ben Laden et les talibans », peut-être envisageraient-elles une honorable retraite ? En vérité, nous sommes dans une nasse.
Deux siècles plus tôt, le frère aîné du duc de Wellington, le marquis de Wellesley, gouverneur général des possessions anglaises en Inde (1797-1805) disait
« S’il est possible d’entrer en Afghanistan, il est presque impossible d’en sortir. »²
Cette remarque faite par un rude combattant et fin connaisseur des Indes, raisonne comme un avertissement sérieux aux oreilles des militaires étrangers engagés dans une lutte à durée indéterminée contre des hommes, guerriers depuis la nuit des temps. Sans doute, le général britannique, Mark Carleton-Smith, se rappelle-t-il la tragique retraite anglaise de Kaboul terminée par un anéantissement le 13 janvier 1842 à Gandamak. Seul survivant sur 16 500 hommes, le médecin, William Brydon, parvenait à Peshawar.³
La démonstration est faite que disposer de la technologie la plus avancée compte, en définitive, fort peu face à une guérilla. Les armées étrangères (mandats ONU, OTAN, commandement US, OEF) ne combattent pas seulement des talibans mais un peuple Pachtoune (Ghilzai et Durrani) entraînant les autres Afghans dans leur lutte. Que peuvent faire des généraux confrontés à des tribus qui s’entendent et se disputent non seulement entre elles mais tout à fait capables du soir au matin de s’unir contre eux puis à nouveau de se retirer ? C’est jouer avec les nerfs que d’avoir à les combattre. Aucune armée ne résiste à ce supplice.
L’appel formulé auprès de l’Arabie Saoudite, par l’homme installé à Kaboul par Washington, Hamid Karzaï, répond sans doute à la solidarité entre les sunnites mais elle équivaut aussi de demander à un renard d’entrer dans le poulailler. Le roi saoudien finance, discrétement, les mouvements religieux souvent ultra-orthodoxes en Afghanistan, au Pakistan sans doute pour éviter de les avoir chez lui et il n’ignore pas davantage la fragilité de la coalition internationale.
Outre cela s’ajoute la position géographique afghano-pakistanaise. Toute la péninsule arabique se tourne vers l’Est. Tous les leaders savent la politique américaine fâcheuse : récemment un jeune officier saoudien et élève à Polytechnique, Mnahi al Masoud, écrivait dans
Le Monde ce que nombre de ses compatriotes expriment4 sur cet « aventurisme ».
La médiation saoudienne qui se déroule, notamment, à Londres servira plus à renforcer tel ou tel camp au sein des peuples afghanos-pakistanais qu’à résoudre le conflit. Les Saoudiens ont un intérêt (comme les Russes, les Chinois) à regarder les armées étrangères s’épuiser dans cette guerre.
De leur côté, les Afghans se protègent et sont énigmatiques lorsque l’on évoque leur pays :
« A Kaboul ceux que j’interrogeais sur le Khyber [pass] ne trouvaient jamais leurs mots : « …inoubliable, c’est surtout l’éclairage…, ou l’échelle…ou l’écho peut-être, comment vous dire ?… » puis ils s’enferraient, renonçaient et, pendant un moment, on les sentait retournés en esprit dans le col, revoyant les mille facettes et les mille ventres de la montagne, éblouis, transportés, hors d’eux-mêmes, comme la première fois. »5


Jean Vinatier


©SERIATIM 2008

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Sources :

1-Jason Burke in :
http://www.guardian.co.uk/world/2008/sep/28/afghanistan.defence
Christina Lamb Helmand in :
http://www.timesonline.co.uk/tol/news/uk/article4882597.ece

2-Catherine Decours, Khyber Pass, Albin Michel, 2008

3-In Journal of the disasters in Afghanistan 1841-1842 in Lady Florentia Wynch Sale: “William Brydon’s Account from memory and memoranda on arrival of the retreat from Caboul in 1842”, éd. Patrick Macrory, Harlow Longmans, London,1969, pp.162-168.

4- “La fin salutaire de l’aventurisme américain » Le Monde, 3 octobre, 2008

5-Nicolas Bouvier, L’usage du monde, Genève, Droz, 1997, p372

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