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mardi 21 octobre 2008

Sœur Emmanuelle : la Dame de Moqattam N°315 - 2eme année

Sœur Emmanuelle (Madeleine Cinquin est née dans une riche famille belge) s’est dévouée pendant plus de trente années aux démunis du Caire : elle a vécu parmi les zabbalins ou chiffonniers. Sa disparition, à la veille de son entrée dans sa centième année, est presque une fausse note dans le monde contemporain où chaque jour un flash info annonce des aides par dizaines de milliards pour venir au secours d’une banque, d’un assureur victime de ses errements et, pour certains, de leur soif inextinguible de profits quant il est si pénible d’obtenir des Etats et des milliardaires une aide pécuniaire.
Entrée à Notre-Dame de Sion, elle enseigna en Turquie, en Tunisie puis en Egypte juqu’à sa retraite où elle mesura l’étendue de la pauvreté qui y régnait et décida en 1970 d’y demeurer :
« Au Caire, lorsque la tête dans les étoiles et les pieds dans les ordures, je priais mon chapelet, je me sentais entourée d'un monde presque harmonieux... »¹
Les zabbalins vivent au Caire dans trois endroits, au Nord, à Mohandessin et dans un ancien cimetière au pied de la colline de Moqattam située à l’est de l’ancienne citadelle. La police ne s’y rendait jamais avant la médiatisation de sœur Emmanuelle.
Qui sont les zabbelins ? Pour la très grande majorité des chrétiens-coptes autrefois fermiers dans la Haute-Egypte ; voilà ce qu’étaient devenus les descendants des pharaons dans l’Egypte contemporaine, après la chute de la monarchie en 1952 ! Tous les coptes ne sont pas dans la misère loin de là (Boutros Boutros-Ghali) mais ils occupent une place particulière dans la société égyptienne post- nassérienne.
Les zabbalins ont deux églises, Al-Moallaqa ou l’Eglise suspendue qui date du Ve siècle construite sur les fondations de la forteresse de Babylone et, la seconde, plus récente, bâtie en 1974, dédiée à Saint-Samaan qui réussit, dit la légende, le prodige de soulever la colline de Moqattam en 975 APJC.²
Il fallait une bonne dose de courage à ce petit bout de femme pour accepter l’immensité de la tâche («
ils se nourrissaient de détritus. », « ils vivaient des poubelles ») non seulement pour aider cette population mais y vivre comme eux, avec eux. Combattive, douée d’un caractère bien trempé, ouverte aux différences (elle écrivit à Jean-Paul II pour faire autoriser la pilule à Moqattam) et peu encline à admettre une hiérarchie souvent pesante, elle disait très simplement :
« Je crois en Dieu, mais ça ne suffit pas. Je crois aussi en l’homme[…] Ce qui compte, c’est le cœur, l’action. “Tu veux aider les autres, viens avec nous, ça va être passionnant !” Champagne ! On a envie de chanter, de danser parce que Dieu veut que l’homme soit heureux. Si on ne s’intéresse pas aux autres, la vie devient monotone. »³
Nul risque avec elle que la vie tombe dans le train-train. Elle n’avait pas comme le disait, aujourd’hui, Bernard Kouchner, dans une phrase à la Jack Lang, « la permanence de la révolte »; bien au contraire, sage, mesurée, attentive mais déterminée, serrant les poings et solide dans sa conduite, elle veillait à n’être pas cette révoltée mais une cabocharde. Son association ASMAE a pris son relais ainsi que l’Etat égyptien mais la population cairote accueille chaque année tellement de ruraux que les bidonvilles loin de décroître s’étalent.
Pourquoi de tels bidonvilles ? Un exode rural, une urbanisation trop rapide et la corruption qui fausse encore les programmes et les chantiers. Tout est donc compliqué ! Leïla Iskander Kamel, fondatrice de la société de consultation, Développement Communautaire et Institutionnel (C.I.D ) et membre de l’Association pour la Protection de l’Environnement (A.P.E) écrivait en 1997 dans un rapport adressé à l’ambassade de France :
« Les tensions demeurent vives s’agissant de l’éloignement de ces communautés du centre du Caire, même si des plans sont en cours en vue de changer complètement les comportements des cairotes concernant les déchets. Ces efforts sont initiés par l’Association pour la Protection de l’Environnement et visent l’entière responsabilisation des quartiers: une véritable campagne de sensibilisation pour la séparation des ordures à la source par les habitants du Caire de sorte que la nourriture soit ramassée et dirigée vers les centres de compostage à la source et que les communautés de ramasseurs d’ordures cessent d’être des sous-hommes ‘insupportables au regard’ et deviennent des voisinages physiquement acceptables où la vie peut être vécue pleinement.»4
Sœur Emmanuelle savait que la colline des déchets avait, hélas, son équivalent, à Manille et dans combien d’autres endroits sur cette planète. Mère Teresa et elle, du Gange au Nil se donnaient la main : deux mères aux sourires uniques !
« Tous les bidonvilles du monde sont des concentrés de misère. Mais au Caire, chez les chiffonniers, c'était pis, puisqu'ils ramenaient de la ville des montagnes d'ordures, fumantes, puantes. Ma cabane donnait sur une cour où mon voisin, Habib, élevait des cochons. Dès la première nuit, les rats m'ont réveillée. Ce qui m'a étonnée, ce fut de me retrouver ainsi, la soixantaine passée, dans un monde que j'avais ignoré, dont je ne parlais pas très bien la langue, plongée dans cette misère matérielle, et d'éprouver malgré tout un sentiment de joie comme je n'en avais jamais connu. J'avais atteint mon but. »
[….]
Je sens maintenant ma barque s'éloigner peu à peu du rivage. Et je ne crains pas pour moi, je l'ai déjà dit. Mais pour la suite de cette action. L'association, qui a été un peu mon âme, a en charge 70 000 enfants dans le monde, dans les pays les plus pauvres. Si bien que, lorsqu'on me demande si je regrette de ne pas avoir eu d'enfants à moi, je réponds que j'en ai 70 000. Mais cela signifie d'énormes besoins. Et il faudra continuer, bien sûr, parce que le monde n'en a pas fini avec la pauvreté et la misère. [...] Je suis comme une mère qui va quitter ce monde et qui laisse ses enfants. Ce sentiment de continuité, de prolongement me rassure. Je me dis, comme tous les gens je l'espère, au terme d'une vie pleine et heureuse : je passe la main, la cordée est solide [...].5
La Dame de Moqattam est partie. Elle laisse éclairé son chemin parcouru dans l’amour du Christ, et invite les hommes à écouter Dieu par la méditation et l’action.

Jean Vinatier

©SERIATIM 2008

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Sources :


1-
http://lesmadeleines.free.fr/celebrites/cinquin.htm

2-
http://pietonnecairote.wordpress.com/2008/04/13/zaballin-et-moqattam/

3-Le Pèlerin, novembre 2004 :
http://www.pelerin.info/article/index.jsp?docId=2166960&rubId=9196
Vidéo CFRT/ France 2006 :
http://www.jds.tv/html/main.php?page=visualiser&directtodocument=3&id_video=248

4-
http://www.ambafrance-ma.org/archives/marocweb/projet02/calendr.htm

5- Son interview dans l’Express édition spéciale :
http://www.lexpress.fr/actualite/societe/religion/le-siecle-de-soeur-emmanuelle_552741.html?p=3

Autres sources :
http://www.lesoir.be/actualite/monde/le-bidonville-du-caire-en-2008-09-07-635940.shtml
http://ema.revues.org/index191.html

Question copte :
http://www.medea.be/index.html?doc=1531

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