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vendredi 31 octobre 2008

Bueil de Racan : « Le bien de la fortune est un bien périssable…. » N°323 - 2eme année

Le week-end de la Toussaint arrive : c’est le moment propice pour la retraite, le receuillement, l’intime.
Honorat de Bueil, marquis de Racan (1589-1670)est un poète gentilhomme de Touraine, soldat, courtisan et réclamé par les premiers salons parisiens chez Mmes de Rambouillet et de Sablé. Le cardinal de Richelieu tiendra à le placer parmi les quarante premiers académiciens ou Immortels.
Racan est donc salué par les plus beaux esprits de l’époque : Malherbe (le maître sévère), Boileau, Charles Perrault («
ses écrits superbes »), La Fontaine lui vouant une passion :

« Malherbe avec Racan, parmi le cœur des anges,
Là-haut de l’Eternel célébrant les louanges,
Ont emporté leur lyre ; et j’espère qu’un jour
J’entendrai leurs concerts au céleste séjour. »¹

Racan écrivit en 1618 les Stances* sur la retraite, alors qu’il approche de la trentaine. Loin de ses inclinations qui font la part belle aux bergeries et aux rêveries, les stances font l’éloge de la vie rustique et énoncent une certaine morale. Ecrire si jeune sur la vie était-ce un trait du XVIIe siècle ?On a l’exemple de Bossuet rédigeant à 21 ans, en 1648, ses superbes Méditations sur la briéveté de la vie.
Ces Stances sur la retraite ne surgissent donc pas du néant, elles invitent à la méditation, à la philosophie.
Ci-dessous un extrait :

« Tircis**, il faut penser à faire la retraite,
La course de nos jours est plus qu’à demi-faite ;
L’âge insensiblement nous conduit à la mort.
Nous avons assez vu sur la mer de ce monde
Errer au gré des flots notre nef vagabonde,
Il est temps de jouir des délices du port.

Le bien de la fortune est un bien périssable,
Quand on bâtit sur elle, on bâtit sur le sable ;
Plus on est élevé, plus on court de dangers ;
Les grands pins sont en butte aux coups de la tempête,
Et la rage des vents brise plutôt le faite
Des maisons de nos rois, que des toits des bergers.

Ô bienheureux celui qui peut de sa mémoire
Effacer pour jamais ce vain espoir de gloire,
Dont l’inutile soin traverse nos plaisirs,
E qui, loin retiré de la foule importune,
Vivant dans sa maison content de sa fortune,
A selon son pouvoir mesuré ses désirs.

Il laboure le champ que labourait son père,
Il ne s’informe point de ce qu’on délibère
Dans ces graves conseils d’affaires accablés ;
Il voit sans intérêt la mer grosse d’orages,
Et n’observe des vents les sinistres présages
Que pour le soin qu’il a du salut de ses blés.

Roi de ses passions, il a ce qu’il désire ;
Son fertile domaine est son petit empire,
Sa cabane est son Louvre et son Fontainebleau ;
Ses champs et ses jardins sont autant de provinces ;
Et, sans porter envie à la pompe des princes,
Se contente chez lui de les voir en tableau.

[….]

Crois-moi, retirons-nous hors de la multitude,
Et vivons désormais loin de la servitude
De ces palais dorés où tout le monde accourt,
Sous un chêne élevé les arbrisseaux s’ennuient,
Et devant le soleil tous les astres s’enfuient,
De peur d’être obligés de lui faire la cour.

Après qu’on a suivi sans aucune assurance
Cette vaine faveur qui nous paît d’espérance,
L’envie en un moment tous nos desseins détruit ;
Ce n’est qu’une fumée, il n’est rien de si frêle,
Sa plus belle moisson est sujette à la grêle,
Et souvent elle n’a que des fleurs pour du fruit.

Agréables déserts, séjour de l’innocence,
Où loin des vanités, de la magnificence,
Commence mon repos et finit mon tourment,
Vallons, fleuves, rochers, plaisante solitude,
Si vous fûtes témoins de mon inquiétude,
Soyez-le désormais de mon contentement.

Racan »²

Jean Vinatier

©SERIATIM 2008

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Note
:

* La stance de l’italien stanza qui signifie demeure, apparaît en France à la cour d’Henri III vers 1580. La stance en poésie est un nombre défini de vers comprenant un sens parfait et arrangé d’une manière précise qui s’observe tout au long du poème.
***Tircis est un nom littéraire donné aux bergers, pour les bergères c’est Amarante : voir dans La Fontaine, Tircis et Amarante, Livre VIII, fable 13)


Sources :

1-in Marc Fumaroli, La Querelle des Anciens et des Modernes, Paris, Gallimard, 2001 :
p. 263 : Charles Perrault, Le Siècle de Louis le Grand (1687),
p.278 : La Fontaine, A Monseigneur l’évêque de Soissons -Pierre-Daniel Huet- (1687)

-in Jean-Pierre Chauveau in Dictionnaire du Grand Siècle, Paris, Fayard, 1990, pp. 1292-1293

2- Oeuvres complètes de Racan nouvelle édition revue et annotée par M. Tenant de Latour Paris : P. Jannet, 1857

Voir également le site des amis de Racan :
http://www.racan.org/

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