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jeudi 16 octobre 2008

Thaïlande/Cambodge et les temples frontières : Prah Vihar, Sdok Kok Thom N°312 - 2eme année

On est bien loin de toute aventure d’Indiana Jones !
Des heurts ont eu lieu entre les soldats, thaï et cambodgiens¹, il y a eu des blessés et des prisonniers autour du site splendide de Prah Vihar (Preah Vihear), temple khmer bâti au XIe siècle². Le conseil de sécurité de l’ONU et l’ASEAN sont saisis ! L’affaire prendrait-elle une tournure inquiétante ? Une guerre pour un temple ?
Retour vers l’Histoire. L’empire Khmer (Cambodge) a rayonné sur l’ensemble de la péninsule indochinoise entre le IXe et le XVe siècle. Chaque souverain devait bâtir un temple-montagne qui lui servirait de mausolée à l’instar des pyramides des pharaons. D’où ces temples magnifiques (Prah Vihar, Sdok Kok Thom, Angkor…etc) au sein d’un ensemble architectural unique au monde à la différence d’Angkor qui était, en plus, une capitale. Progressivement les Siamois* (Thaï), les Laotiens et les Vietnamiens s’émancipèrent de la suzeraineté de l’empire Khmer au point de devenir, au XIXe siècle, qu’un simple « condominium » siamo-vietnamien. Le protectorat français débuté en 1863 évita au Cambodge de disparaître. Il restait à régler le problème de la frontière jamais définie jusqu’alors. En 1893, 1904 et 1907 trois traités entre la France et le Siam fixèrent les frontières par un échange de provinces. En 1941, la France quoique victorieuse de l’armée thaïlandaise* dut, sous la pression du Japon rendre deux provinces. Et les temples ? Angkor ne soulevait pas de problème, à la différence de ceux de Prah Vihar et Sdok Kok Thom situés tout proche de la frontière. La cour internationale de La Haye, par un jugement rendu le 15 juin 1962 attribua le temple de Prah Vihar au Cambodge au grand dam de la Thaïlande qui ne reconnut pas cette décision³. La décision de l’UNESCO de classer au patrimoine mondial le site de Prah Vihar en juillet 2008 à fait monter la tension d’un cran. Pour compliquer le tout, Phnom Penh demande que le temple Sdok Kok Thom situé à 34 kilomètres à l’intérieur du territoire thaïlandais lui soit rendu sous le prétexte qu’il a servi de camp aux Khmers pendant leur lutte !
Les temples-montagnes khmers, Prah Vihar (Preah Vihear) et Sdok Kok Thom sont-ils devenus entre les deux royaumes de Thaïlande et du Cambodge des lieux d’affrontement pour régler chacun de leur côté des difficultés intérieures ? Il semblerait que oui. Et c’est plus la situation intérieure thaïlandaise qui retient l’attention. Depuis le coup d’état militaire en septembre 2006 du général Sonthi Boonyaratglin** (musulman) qui a chassé l’énigmatique, Thaksin Shinawatra, leader du People’s Power Party (PPP), la société thaïlandaise se divise sous l’œil de son souverain âgé de 81 ans. Les militaires se retirèrent, après les législatives de décembre 2007 qui virent, à la surprise générale, la victoire du People’s Power Party. Ce parti ne pouvant choisir l’ex-Premier ministre, sous le coup d’un mandat d’arrêt, c’est l’un de ses proches Samak Sundaravej(janvier-septembre 2008) qui le remplaça avant d’être contraint à la démission pour faute (il continuait à toucher de l’argent comme animateur d’une émission culinaire) et devant la colère montante de la population soutenue par le People’s Alliance for Democracy (PDA) qui regroupe plusieurs organisations politiques dont leurs chefs sont ultra nationalistes, issus de l’armée et soutenus par des familles aristocratiques. C’est pourquoi les manifestants sont appelés des royalistes. Ce sont eux qui ont protesté contre le fait que le premier ministre thaïlandais, entre-temps remplacé par Somchai Wongsawat***, reconnaisse définitivement la souveraineté cambodgienne sur le territoire de 4,6 km2 autour de Prah Vihar !
En octobre, on a vu une accélération des événements militaires entre les deux royaumes. Hun Sen promettant même aux Thaï de transformer le territoire disputé en « zone de mort ». On voit que Hun Sen qui dirige d’une main de fer le Cambodge depuis 1985 est un pur et dur : n’oublions pas qu’il fut un Khmer rouge rallié au moment opportun aux Vietnamiens !
Mais le fond de l’affaire, comme on le devine, tient à la situation politique thaïlandaise. Les coups d’états militaires ne sont plus rares depuis 1932 et les souverains, s’ils sont vénérés comme des dieux, doivent avoir une habileté remarquable pour naviguer entre les écueils. L’actuel monarque Rama IX (Bhumibol Adulyadej) est adoré. Le prince héritier, Wachiralongkorn, ne jouit pas de la faveur du peuple à l’inverse de sa sœur cadette, Sirindhorn Thepha Rattana Suda (francophone). Le roi l’aurait désigné pour lui succéder.
La Thaïlande, politiquement et dynastiquement, traverse une période agitée qui pourrait aboutir à une déstabilisation du royaume. Les leaders du PAD (royalistes) jouent avec le feu en créant de facto une situation de guerre avec le Cambodge. Les Américains très présents par leurs bases en Thaïlande depuis 1949 se devraient, alors, d’intervenir au risque de mécontenter les géants continentaux que sont l’Inde et la Chine sans oublier le voisin immédiat, le Myanmar.
La question des temples frontières met en lumière les calculs intérieurs des politiciens thaïlandais. La prospérité de ce pays est réelle mais les tensions venues dans le sud, l’ex-sultanat de Pat(t)ani, où l’activisme des musulmans sunnites**** grandit, inquiète les autorités. Il serait alors imprudent de réactiver des anciens contentieux frontaliers avec le Cambodge et le Laos réglés pendant le protectorat français. Si la Thaïlande (« Pays des Hommes libres ») est fière de n’avoir jamais été sous le joug d’une puissance occidentale, elle n’en nourrit pas moins des rancœurs qui pourraient, à terme, bouleverser son équilibre intérieur.

Jean Vinatier


©SERIATIM 2008

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Notes :

*Le Siam a pris le nom de Thaïlande en 1939 après la prise du pouvoir par le général Plaek Phibunsongkhram
** sur proposition du général, le roi a nommé Surayud Chulanont qui fera office de « Premier ministre » entre octobre 2006 et janvier 2008.
*** : il est le beau-frère de Thaksin Shinawatra.
**** : la crainte est de voir les musulmans de cet ancien sultanat demander leur rattachement à la Malaisie. Ajoutons que dans le cadre de négociations avec les anglo-hollandais dans la seconde moitié du XIXe siècle, la Thaïlande a renoncé à sa suzeraineté sur la Malaisie à l’exception du sultanat de Pat(t)ani qu’elle annexa en 1909.

Sources :

1-
http://actualite.portail.free.fr//monde/15-10-2008/combats-a-la-frontiere-entre-la-thailande-et-le-cambodge/

2-
http://whc.unesco.org/fr/list/1224

3-
http://www.icj-cij.org/docket/index.php?sum=284&code=ct&p1=3&p2=3&case=45&k=46&p3=5

Cartes :

http://fr.wikipedia.org/wiki/Image:Thailand.gif
http://www.monoroom.info/uploads/newbb/92_48987f505569d.jpg

Site de l’EFEO :
http://www.efeo.fr

http://angkor.wat.online.fr/conservation-sauvegarde-sommaire.htm

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