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vendredi 26 septembre 2008

Jean-Baptiste Rousseau : « Sur l’aveuglement des hommes du siècle » N°295 - 2eme année

Jean-Baptiste Rousseau (1671-1741) surnommé par ses contemporains « le prince des poètes » naquit fils de cordonnier enrichi. Tôt remarqué par Boileau, il accompagna, ensuite, le comte de Tallard, ambassadeur de France à Londres en 1698 et fut élu, en 1701, à l’Académie des Inscriptions et Belles Lettres. Compromis dans une affaire de couplets satiriques (sa culpabilité n’est pas avérée), il fut condamné, par le Parlement de Paris, au bannissement à perpétuité en 1712. Accueilli et protégé d’abord par le comte du Luc, ambassadeur de France qui le présenta, à Vienne, au prince Eugène de Savoie dont il obtint la protection. Il mourut à Bruxelles en 1741.
Auteur malchanceux de pièces de théâtre et librettiste d’opéra, ce sont ses épigrammes et ses poèmes qui le rendirent célèbres. Sainte-Beuve lui rendit un hommage appuyé.
Le poème ci-dessous est extrait des
Odes (vers 1720) où l’on devine un grand lyrisme digne du Grand Siècle.
Cette ode ne peut pas laisser indifférente au vu de l’actualité…..


« Sur l’aveuglement des hommes du siècle¹

Qu’aux accents de la ma voix la terre se réveille !
Rois, soyez attentifs ; peuples, ouvrez l’oreille !
Que l’univers se taise, et m’écoute parler !
Mes chants vont seconder les efforts de ma lyre :
L’Esprit saint me pénètre, il m’échauffe, et m’inspire
Les grandes vérités que je vais révéler.

L’homme en sa propre force a mis sa confiance ;
Ivre de ses grandeurs et de son opulence,
L’éclat de sa fortune enfle sa vanité.
Mais, ô moment terrible ! ô jour épouvantable,
Où la mort saisira ce fortuné coupable
Tout chargé des liens de son iniquité !

Que deviendront alors, répondez, grands de ce monde,
Que deviendront ces biens où votre espoir se fonde
Et dont vous étalez l’orgueilleuse moisson ?
Sujets, amis, parents, tout deviendra stérile,
Et, dans ce jour fatal, l’homme à homme inutile
Ne paiera point à Dieu le prix de sa rançon.

Vous avez vu tomber les plus illustres têtes,
Et vous pourriez encore, insensés que vous êtes,
Ignorer le tribut que l’on doit à la mort !
Non, non, tout doit franchir ce terrible passage :
Le riche et l’indigent, l’imprudent et le sage,
Sujets à même loi, subissent le même sort.

D’avides étrangers, transportés d’allégresse,
Engloutissent déjà toute cette richesse,
Ces terres, ces palais, de vos noms anoblis.
Et que vous reste-t-il en ces moments suprêmes ?
Un sépulcre funèbre, où vos noms, où vous-mêmes
Dans l’éternelle nuit serez ensevelis.

Les hommes, éblouis de leurs honneurs frivoles,
Et de leurs vains flatteurs écoutant les paroles,
Ont de ces vérités perdu le souvenir.
Les lois de leur instinct sont leurs uniques guides,
Et pour eux le présent paraît sans avenir.

Un précipice affreux devant eux se présente,
Mais toujours leur maison, soumise et complaisante,
Au-devant de leurs yeux met un voile imposteur.
Sous leurs pas cependant s’ouvrent les noirs abîmes,
Où la cruelle mort, les prenant pour victimes,
Frappe ces vils troupeaux dont elle est le pasteur.

Là s’anéantiront ces titres magnifiques,
Ce pouvoir usurpé, ces ressorts politiques,
Dont le juste autrefois sentit le poids fatal.
Ce qui fit leur bonheur deviendra leur torture ;
Et Dieu, de sa justice apaisant le murmure,
Livrera ces méchants au pouvoir infernal.

Justes, ne craignez point le vain pouvoir des hommes ;
Quelques élevés qu’ils soient, ils sont ce que nous sommes.
Si vous êtes mortels, ils le sont comme vous,
Nous avons beau vanter nos grandeurs passagères,
Il faut mêler sa cendre aux cendres de ses pères,
Et c’est le même Dieu qui nous jugera tous. »


Jean Vinatier


©SERIATIM 2008

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Source :

1-In Odes, cantates, épîtres et poésies diverses de J.-B. Rousseau. Imprimé par ordre du Roi pour l'éducation de Mgr le Dauphin, Paris, P.Didot, 1790, pp. 13-15

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