Arnaud Orain propose, pour La Vie
des idées et la revue Oeconomia, la
recension de l’ouvrage d’Arnaud Skornicki, « L’économiste, la cour, la
patrie »Paris, CNRS éditions, 2011
« L’ouvrage
d’Arnault Skornicki s’ouvre sur une scène cocasse : celle d’un Jacques
Attali, président de la commission pour la « libération de la
croissance », lisant en 2008 devant un parterre de journalistes la célèbre
lettre que Turgot adressa à Louis XVI lors de sa prise de fonction au Contrôle
général des finances en 1774. Skornicki constate ainsi qu’à plus de deux
siècles de distance, la même posture – celle de l’expert – et le même discours
sous-jacent – la libéralisation de l’économie comme ressort d’une allocation
optimale des ressources – sont à l’œuvre. Partant de ce constat, le propos de L’économiste,
la cour et la patrie est d’interroger la genèse tout à la fois de la
position de celui qui parle et de la science dont il se drape. Ce faisant,
Arnault Skornicki se penche sur ce qui va devenir la « science
économique » pendant le XVIIIe siècle français. L’auteur veut se garder d’un
écueil fréquent : ce n’est pas parce qu’elle se « désencastre »
(au sens de Karl Polanyi) du monde social et matériel dans lequel elle est née
que cette science rationnelle s’oppose à l’État. Dans une perspective
foucaldienne, elle n’est qu’une nouvelle forme de
« gouvernementalité » adaptée aux temps modernes. Bien plus qu’à
l’auteur de Les Mots et les Choses, c’est cependant d’abord à
« l’école de Cambridge » (John Pocock et Quentin Skinner), puis à la
sociologie politique (Max Weber, Norbert Elias et Albert Hirschman) et enfin à
l’histoire intellectuelle (Daniel Roche, Robert Darnton, Roger Chartier) que
Skornicki emprunte ses grilles de lecture de l’économie politique française des
Lumières. Le projet diffère donc d’une histoire de la pensée économique, au
sens où il s’agit de dévoiler non seulement la position des acteurs
(« d’où » ils parlent), mais encore les relations entre pouvoir et
science, et l’usage qui est fait du discours libre-échangiste. Skornicki suit
pour cela un plan plutôt chronologique en trois parties. La première partie
s’attache à la « science du commerce » développée par le groupe réuni
autour de Jacques Vincent de Gournay dans les années 1750. La seconde
s’intéresse à l’école la plus structurée du siècle, celle des physiocrates. Enfin,
la dernière partie analyse plus avant la réception de la « science
nouvelle » par l’opinion ainsi que les interactions entre les grands
débats du temps (les grains et l’impôt) et les hommes qui les portent jusqu’au
sommet de l’État (Turgot et Necker en particulier). S’il a recours aux grands
textes de l’époque et à certains fonds d’archives, Skornicki exploite largement
les travaux des historiens de la pensée économique contemporains : ceux de
Loïc Charles, Philippe Steiner et Christine Théré en particulier. C’est
d’ailleurs là que se situe la principale faiblesse de l’ouvrage :
l’auteur, qui loue beaucoup leur travaux, ne se positionne pas assez par
rapport à eux, et par conséquent ne présente pas suffisamment son apport –
pourtant réel – à la recherche dans le domaine.
[….]
La suite ci-dessous :
Jean Vinatier
SERIATIM 2015
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